La Mode est Jeff Koons

6 min readJul 14, 2023

Hier soir, j’ai regardé un documentaire sur Jeff Koons. J’ai été à la fois fasciné et horrifié par le personnage. Après l’avoir entendu parler, l’aspirateur est devenu pour moi le symbole de la classe moyenne américaine, Popeye le nouveau David de Michel-Ange, et un ballon de baudruche une représentation de la légèreté et de la pesanteur du monde. Pourtant, une semaine plus tôt, avant d’avoir entendu ce truand de l’art contemporain, pour moi, un ballon de baudruche était simplement un ballon de baudruche.

Je pense que la mode est un peu comme Jeff Koons. Bien que ce ne soient que des morceaux de tissus, les Maisons de luxe et les marques renommées parviennent à insuffler du rêve dans ces produits que nous consommons. Si Jeff Koons m’a appris quelque chose cette semaine, c’est comment insuffler du sens dans un vêtement, comment nous pouvons transformer l’inutile en sublime.

Qui est Jeff Koons ?

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Dès l’âge de 9 ans, Jeff Koons parvint à vendre des œuvres grâce à son père qui exposait ses répliques de tableaux de grands maîtres, dans sa boutique de décoration en Pennsylvanie. Plus tard, après avoir fait ses études aux beaux-arts de Chicago, il organisa sa première exposition en 1980, intitulée “The New” où il présenta, des aspirateurs sous des néons…

Au début de sa carrière, il ne vivait évidemment pas de ses productions. Il travailla donc à Wall Street en tant que courtier jusqu’en 1985, année où il commença à travailler à plein temps sur ses œuvres d’art. Cependant, n’étant pas très bon sculpteur, il se fit aider par une trentaine d’assistants.

Cette biographie ressemble plus à la sucess story d’un entrepreneur plutôt qu’à l’histoire d’un artiste incompris. Ceci explique la controverse autour du personnage. Proche du monde de la finance, Jeff Koons est une personne affable qui semble être un vendeur né, capable de vendre des aspirateurs comme des œuvres d’art, sans avoir aucune apparente compétence artistique.

Pourquoi Jeff Koons c’est plus qu’un vendeur de ballons de baudruche

*Jeff Koons sur le travail de la reflexivité dans ses œuvres d’art. Voir documentaire Jeff Koons — BBC Imagine Documentary (2015)*

Jeff Koons est un personnage qui a bouleversé le monde de l’art et a soulevé des questions sur sa nature. Il incarne un monde où il n’existe plus d’académie définissant l’art, si bien que tout peut devenir art. Dans ce monde, ce qui est représenté par l’œuvre importe moins que ce qu’elle raconte. Ainsi, nous passons d’une époque où l’artiste est un artisan à un monde où l’artiste maîtrise la rhétorique. Finalement, l’art contemporain, et notamment Jeff Koons, nous montre à quel point le contexte peut transformer un objet en une œuvre d’art. Tout ce système, composé du musée qui magnifie l’objet, des critiques d’art qui en font l’éloge et des acheteurs qui, d’une certaine manière, objectivent la valeur de l’œuvre, transforme l’objet en une œuvre valant plusieurs millions.

Et c’est là que se créé un lien avec la mode. À votre avis, pourquoi Demna Gvasalia parvient à vendre des sacs de chips Lay’s ? Comment se fait-il que des tapis IKEA x Virgil se revendent plusieurs milliers d’euros ? Eh bien, c’est à la fois parce que ces personnes savent parler de leurs créations, que le milieu de la mode les encense, mais aussi parce qu’il y a un propos sous-jacent à ces produits.

Virgil le disciple du Ready-made et Wales Bonner la descendante spirituelle de Basquiat

Duchamp est son avocat

Virgil Abloh est sans aucun doute le designer mode dont le lien avec Jeff Koons est le plus évident. Tout au long de sa carrière, un principe fondamental a guidé Virgil Abloh : celui d’éditer des objets en modifiant seulement “3% de leur forme originale”. Cette approche se manifeste à travers ses chemises floquées Pyrex et les bouteilles d’Evian, qui sont citées entre guillemets. À première vue, on pourrait penser que Virgil ne s’est pas souvent foulé les chevilles. Cependant, cette approche du design permet de décomplexer ce monde aux apparences élitistes. Elle rend le design accessible à tous et crée une plateforme de communication. Ici, le plus important n’est pas ce qui est fait, mais l’idée qui est communiquée et les ponts que cela construit entre les gens.

À l’opposé de cette démarche de simplification, nous avons Wales Bonner, créatrice talentueuse dont les collections sont un pastiche de références à la culture afro-caribéenne.

Basquiat serait fier d’elle

Grace Wales Bonner , c’est un peu la première de la classe que tout le monde jalouse. Après avoir fait ses bancs dans la prestigieuse école Central Saint-Martins, elle lance sa marque éponyme, Wales Bonner, en 2015. La même année, elle remporte à la fois le prix « emerging menswear designer » aux British Fashion Awards et le LVMH Prize.

Ce qui fait d’elle une couturière hors pair, ce n’est pas seulement la qualité de ses confections, mais aussi le récit qui transparaît à travers chacun de ses shows. Chacun de ses défilés est une ode à la culture noire, tant par les techniques utilisées que par les nombreuses références qui sont faites à la culture.

Rêveries de minuit

Le défilé Hiver 2023 “Twilight Reveries” de Wales Bonner a été l’occasion pour la créatrice de faire son entrée à la Fashion Week de Paris et de rendre hommage à tous les artistes noirs qui trouvaient refuge dans la capitale française pour pouvoir créer.
Le concept central de cette collection repose sur des créations d’une élégance exceptionnelle, réalisées avec les meilleures techniques de tailoring, mais coupées de manière ample de sortes à ce que les vêtements puisse convenir au travail de l’artiste.

Lors de ce show, Wales Bonner n’a pas hésité à mélanger des pièces raffinées confectionnées par les artisans de Savile Row à des maillots de football en hommage aux Reggae Boys, club de football jamaïcain. En fond sonore, les spectateurs de ce show ont eu la chance de découvrir une bande-son originale confectionnée notamment par Sampha et Kendrick Lamar.

Les défilés de Wales Bonner sont un foisonnement de références culturelles et de prouesses techniques qui ont de quoi ravir les critiques de mode et les fashionistas. Wales Bonner est capable de concevoir un univers unique chaque saison, au point qu’elle ne soit plus seulement une créatrice de talent, mais aussi une représentante de la diaspora africaine.

Pourquoi Jeff Koons est la mode

Ce que j’ai réalisé en écoutant Jeff Koons parler de son travail, c’est que le monde de la mode recherche ce type de personnage. Les critiques et les fashionistas recherchent des noms, des artistes capables de les plonger dans un univers authentique, même s’il est composé uniquement de samples et de guillemets. De plus, je pense que le point commun entre tous ces artistes est qu’ils représentent une époque, qu’ils soient très élitistes comme Wales Bonner ou urbains comme Virgil Abloh.